18

 

LA « porte », instantanément, s’activa. Kickaha quitta la salle carrée aménagée au fond de la caverne sans éprouver la moindre sensation de déplacement – comme d’habitude – et se retrouva ailleurs, debout à l’intérieur d’un cercle formé par deux autres croissants joints. La mise en contact des deux croissants de la caverne et l’entrée de son corps dans le champ qu’ils irradiaient avaient activé la porte en trois secondes. Lui et le croissant mobile avaient été transférés jusqu’à un champ de même fréquence situé à l’autre extrémité du sous-continuum.

Il avait réussi à s’échapper mais il n’allait pas tarder à mourir vidé de son sang s’il ne réussissait pas à soigner ses blessures afin d’en étancher le flot.

Il se rendit soudain compte de l’erreur qu’il avait commise en agissant hâtivement, sous la pression de Podarge. Il avait ramassé un des croissants dont il ne fallait pas se servir, après avoir lâché les cinq autres lorsque la harpie l’avait attaqué. Au cours de la bataille, il avait dû donner accidentellement un coup de pied à l’un des croissants-pièges, qui s’était retrouvé au milieu des autres. C’était celui-là qu’il avait ramassé et qu’il avait utilisé pour disparaître.

Il se trouvait dans une cellule de la prison du palais du Seigneur.

Un jour, devant Wolff, il s’était vanté de pouvoir sortir de cette prison dont on garantissait qu’il était impossible de s’échapper, si par hasard il y était enfermé. Il pensait qu’un homme intelligent et résolu ne pouvait pas demeurer indéfiniment enfermé dans une prison, aussi inviolable fût-elle. En sortir pouvait demander un certain temps, mais on y réussissait toujours.

Il rageait maintenant, regrettant d’avoir été aussi vantard. Wolff avait fort bien conçu cette prison. Elle était creusée sous vingt-cinq mètres de pierre solide. C’était un ensemble autonome entièrement isolé du monde extérieur, à l’exception du détail : la nourriture et la boisson fournies au prisonnier éventuel provenaient des cuisines du palais par l’intermédiaire d’une « porte », mais trop étroite pour laisser passer autre chose qu’un plateau.

La prison comportait bien d’autres « portes » destinées à introduire ou à faire sortir les prisonniers, mais elles ne pouvaient être activées que depuis le palais, et seulement par les rares personnes qui connaissaient leur existence.

La pièce où il se trouvait, cylindrique, avait un diamètre d’environ douze mètres. Elle était éclairée par une source lumineuse invisible, qui ne projetait pas d’ombres. Les murs étaient recouverts de peintures exécutées par Wolff, qui représentaient des scènes de l’ancienne planète ancestrale des Seigneurs. Wolff avait créé cette prison uniquement à l’intention de ses pairs, et c’était pour eux qu’il avait peint ces scènes. Il y avait quelque cruauté dans ces décors, qui étaient tous axés sur la beauté grandiose de la nature extérieure et ne pouvaient manquer de faire prendre conscience au prisonnier de l’espace étroit dans lequel il était confiné.

Le mobilier, du style connu chez les Seigneurs sous le nom de Moyen Thyamarzan Antérieur à l’Exode, était splendide. Les grands placards et les majestueuses commodes renfermaient de nombreux objets destinés à éduquer et à distraire le prisonnier. À l’origine, les cellules étaient vides. Mais quand Wolff avait repris son palais, il les avait fait meubler et garnir d’objets divers car il n’était pas partisan de la torture, même de celle qui consiste à faire périr d’ennui les prisonniers.

Jusqu’alors, la prison était demeurée inoccupée. Et comble de l’ironie et de l’humour noir, l’homme qui l’inaugurait était le meilleur ami de celui qui avait eu l’idée de la créer, et qui ignorait tout de sa présence en ce lieu, Kickaha avait l’espoir que les Cloches Noires occupant le palais l’ignoreraient également. Lorsqu’un prisonnier était introduit dans la cellule, trois lampes s’allumaient simultanément : une dans la chambre de Wolff, une autre sur un anneau installé dans la grande salle de contrôle, et une troisième en cuisine.

Si le Cloches Noires en voyaient une briller, ils s’alarmeraient ou tout au moins chercheraient à en connaitre la signification. Ils ne disposaient d’aucun moyen de comprendre le sens de ces signaux. Les talos des cuisines comprendraient pour leur part mais, même si on les questionnait, ils seraient dans l’impossibilité de répondre. Ils enregistreraient les ordres, mais leurs bouches ne leur servaient qu’à goûter les mets et à manger. Ils n’étaient pas doués de la parole.

Kickaha, tout en réfléchissant intensément, se mit en quête d’une trousse de première urgence. Il trouva tout ce dont il avait besoin dans un placard, antiseptique, anesthésique à action locale, produits pharmaceutiques et bandes de pansement. Après avoir désinfecté ses plaies, il déroula des bandes ressemblant à de la peau humaine et les appliqua sur ses blessures. Leur effet cicatrisant se fit sentir presque immédiatement.

Il but de l’eau et ouvrit aussi une bouteille de bière. Ensuite, il fit couler une douche sous laquelle il demeura un bon moment, puis il prit une boîte de pilules destinées à calmer les nerfs surexcités et à procurer un sommeil réparateur. Il n’avalerait toutefois une de ces pilules qu’après avoir mangé et achevé d’explorer l’endroit où il se trouvait.

À vrai dire, peut-être n’aurait-il pas dû songer au repos. Chaque minute qui s’écoulait était vitale. Il ignorait ce qu’étaient devenus Anania et les Barbes Rouges qui combattaient à Talanac. Peut-être, en ce moment même, étaient-ils attaqués par un appareil des Cloches Noires équipé de lance-rayons puissants. Et que faisait von Turbat actuellement ?

Apres avoir échappé à Podarge, von Turbat et son second von Swindebarn avaient dû certainement réintégrer le palais en franchissant une « porte ». Se contenteraient-ils de s’y terrer ? Ou bien – et cela semblait plus probable – se rendraient-ils à nouveau sur la lune en empruntant une autre « porte » ? Sans doute pensaient-ils que Kickaha s’y trouvait abandonné et incapable d’agir. S’ils y retournaient, ils se feraient vraisemblablement accompagner par un engin volant et une troupe nombreuse.

Il se mit à rire. Pendant qu’ils seraient là-haut, occupés à le chercher frénétiquement, lui serait tranquillement ici vingt-cinq mètres sous terre.

Il fallait néanmoins envisager la possibilité qu’ils découvrent la salle secrète au fond de la caverne, près de Korad. Dans ce cas, ils essaieraient tous les croissants l’un après l’autre et une Cloche Noire ferait bientôt son apparition dans sa cellule. Peut-être était-ce une erreur de dormir. Peut-être devait-il continuer à agir, et essayer de trouver un moyen pour quitter cet endroit.

Kickaha décida qu’il était indispensable qu’il dormit. Sinon, il n’allait pas tarder à s’effondrer et à perdre la presque totalité de ses moyens, devenant ainsi très vulnérable.

Lorsqu’il eut absorbé la bière et trois verres de vin, la tête lui tournait un peu. Il marcha jusqu’à une petite porte aménagée dans la muraille, et sur laquelle une topaze jetait des feux jaunes, et l’ouvrit. Dans la cavité du mur, il prit un plateau d’argent. Il contenait dix plats différents, coiffés d’un couvercle également en argent et contenant tous des mets succulents. Il en dévora le contenu puis il replaça le plateau et les plats vides dans la cavité. Tant qu’il laissa la porte ouverte, rien ne se passa. Il la referma puis la rouvrit presque immédiatement. La niche était vide. Le plateau avait été transféré aux cuisines où un talos laverait plateau et plats avant de les polir. Au bout de six heures, le talos préparerait un nouveau plateau et le transférerait dans la cellule enfouie sous la pierre.

Kickaha voulait être debout et prêt au moment de l’arrivée du plateau suivant. La cellule ne comportait malheureusement pas de pendule, et il lui fallait donc compter sur son horloge biologique. Mais l’état dans lequel il se trouvait actuellement ne lui permettait pas de s’y fier.

Il haussa les épaules. Il pouvait toujours essayer. Si ça ne marchait pas cette fois, eh bien, ce serait pour la suivante. Il lui fallait impérativement dormir car il ignorait quels seraient les efforts qu’il aurait à fournir si jamais il réussissait à sortir de cette prison.

En définitive, et à condition que les Cloches Noires ne découvrent pas la caverne sur la lune, cet endroit était la meilleure cachette dont il pût rêver.

Mais il fallait tout d’abord qu’il achève d’explorer la prison, afin de s’assurer que tout allait bien et aussi pour pouvoir éventuellement se servir plus tard de tout ce qui pourrait l’aider. Il marcha vers une porte aménagée dans la muraille, l’ouvrit et pénétra dans une petite antichambre. Il la traversa, ouvrit une autre porte, et entra dans une cellule cylindrique jumelle de celle qu’il venait de quitter. Elle était décorée luxueusement et meublée dans un style différent. Dans cette pièce, le mobilier ne cessait de s’animer et de changer de forme, et chaque fois qu’il s’approchait d’un divan, d’une chaise ou d’une table, le meuble se dérobait en glissant. Lorsqu’il pressait le pas ou se mettait à courir, le meuble prenait suffisamment de vitesse pour lui échapper.

Cette pièce avait été conçue pour amuser le prisonnier, pour le rendre perplexe et peut-être, éventuellement, enragé. Cela l’empêchait de penser à la situation fâcheuse dans laquelle il se trouvait plongé.

Kickaha renonça à essayer de capturer un divan et il passa dans une troisième cellule, après avoir traversé une seconde antichambre. La porte, comme les autres, se referma derrière lui. Il savait qu’elles ne pouvaient s’ouvrir que dans un seul sens mais il essaya néanmoins, espérant que Wolff aurait commis une erreur. Naturellement, la porte résista.

L’antichambre suivante donnait accès à un studio d’artiste. Il y avait ensuite une pièce quatre fois plus grande que la précédente, qui comportait une piscine couvrant presque toute sa surface. L’eau, légèrement froide, se renouvelait continuellement. Elle provenait du château d’eau du palais et était également introduite par une « porte ». L’arrivée de l’eau se faisait par une grille située à une extrémité de la piscine, et l’évacuation par une autre grille placée au centre du bassin. Kickaha examina soigneusement l’installation puis passa dans la pièce suivante. Elle avait la dimension de celle dans laquelle il avait été introduit en premier lieu. Elle comportait plusieurs installations sportives et son champ gravifique équivalait à la moitié de celui de la planète – lequel égalait celui de la Terre. La plupart des appareils paraissaient étranges, même à Kickaha qui avait pourtant beaucoup voyagé. Les seuls accessoires qui retinrent son attention furent des cordes fixées à des crochets, qui pendaient du plafond ou de barres destinées aux exercices d’escalade.

Il confectionna un lasso avec l’une des cordes et en enroula plusieurs autres qu’il jeta sur son épaule. Il traversa successivement vingt-quatre pièces, toutes équipées de manière différente, et finalement se retrouva dans la première.

Tout autre que lui aurait pensé que les pièces étaient reliées entre elles pour former une chaîne circulaire. Mais il savait qu’il n’y avait aucune liaison physique entre elles, douze mètres de granit séparait chaque pièce de ses voisines. On passait de l’une à l’autre par l’intermédiaire de « portes » qui se trouvaient sur le seuil de chaque petite antichambre de séparation. Lorsque la porte normale s’ouvrait, la « porte » se trouvait activée et le prisonnier était instantanément transporté dans une autre antichambre en tous points semblable à celle dans laquelle il croyait pénétrer. Kickaha réintégra la première cellule avec prudence. Il voulait s’assurer qu’aucune Cloche Noire n’avait été transférée dans la prison pendant qu’il visitait les lieux. La pièce était vide d’occupant, mais cela ne prouvait rien car l’arrivant éventuel pouvait être passé d’une pièce à l’autre pour aller visiter les différentes cellules, comme lui-même venait de le faire.

Il empila trois chaises et les emporta dans la pièce voisine, celle où les meubles ne cessaient de changer de place et de se dérober. Il choisit un divan et fit tournoyer son lasso. Le nœud coulant accrocha la protubérance décorative grotesque qui surmontait le dossier du siège. La sculpture changea de forme mais elle ne pouvait se métamorphoser que jusqu’à un certain point et le lasso la tenait solidement. Le divan s’éloigna lorsque Kickaha s’approcha de lui. S’allongeant sur le sol et tendant la corde, il entreprit alors de s’en approcher. Les mouvements désordonnés du siège le firent rouler de droite et de gauche mais grâce à l’épais tapis qui recouvrait le sol, il supporta les secousses avec seulement quelques brûlures aux genoux. Il finit par réussir à s’agripper au divan et s’y hissa. Le siège cessa alors de s’agiter, comme s’il était subitement solidifié, ne bougeant pas plus qu’un meuble ordinaire. Il ne retrouverait ses propriétés étranges que lorsque son occupant l’abandonnerait.

Kickaha fit un nœud coulant à l’extrémité libre du lasso et captura par le dossier une chaise qui se tenait bien innocemment à proximité. La chaise demeura immobile jusqu’à ce qu’il eût exercé une traction sur la corde. Elle tenta alors de fuir. Kickaha sauta sur le sol et, après une série de manœuvres, il réussit à placer la chaise sur le divan. Il les attacha solidement l’un à l’autre et les poussa près de l’entrée.

À l’aide des autres cordes et de divers objets rassemblés en une masse pesante, il installa un dispositif Rube Goldberg. Cet ingénieux système comportait un nœud coulant posé à plat sur le sol. Si un intrus éventuel y plaçait le pied, sa masse agirait sur le divan et la chaise placés tout près et qui reculeraient vers le fond de la pièce, resserrant le nœud coulant autour de sa cheville. L’extrémité de la corde était attachée au divan et à la chaise, et une autre corde reliait la sculpture du divan à un lustre en or serti d’émeraudes et de turquoises.

Kickaha, perché au sommet des trois chaises empilées qu’il avait apportées de la pièce voisine, dévissa l’écrou du goujon qui maintenait le lustre à sa place, ne laissant engagé qu’un seul filet. Lorsque le divan et la chaise reflueraient vers le fond de la pièce, la tension de la corde nouée au goujon arracherait ce dernier – c’était du moins ce qu’il espérait – et le lustre s’écraserait sur le sol. Si ces calculs étaient exacts, il tomberait sur l’intrus tiré jusqu’à cet endroit par la corde fixée au divan et à la chaise.

En réalité, il ne s’attendait pas à ce que le piège fonctionne. Il ne pensait pas que quelqu’un pût manquer de perception au point de ne pas voir le nœud coulant. Il y avait quand même une chance pour que cela réussisse. Ce monde, comme tous les autres, fourmillait d’idiots et d’individus dépourvus de bon sens.

Il passa dans la pièce suivante, le studio d’artiste. Il ramassa un gros ballon fait d’une matière plastique extrêmement malléable. On pouvait lui donner la forme que l’on désirait et la stabiliser en lui injectant un produit chimique au moyen d’une seringue hypodermique. Il emporta le ballon et une seringue dans la piscine. Il plongea et aplatit le ballon sur le fond, contre la grille d’évacuation de l’eau. Il lui donna la forme d’un disque qui recouvrait entièrement l’orifice et rendit cette forme durable au moyen d’une injection. Puis il remonta à la surface et se hissa sur le bord de la piscine. Le niveau de l’eau se mit bientôt à monter, comme il l’avait espéré. La piscine ne comportait aucun dispositif d’arrêt automatique de l’arrivée d’eau lorsqu’un niveau critique était atteint, et elle continuait à couler même si le trou d’évacuation était obstrué. Ce fait avait échappé à Wolff. Il n’avait évidemment aucune raison de s’en préoccuper. Si un éventuel Seigneur prisonnier désirait se noyer, il était entièrement libre de le faire.

Kickaha passa dans la pièce suivante. Il empila des meubles et des statues contre la porte, puis il se sécha et alla s’allonger derrière un divan pour dormir. Il était sûr que quiconque tenterait de pénétrer dans la pièce aurait les plus grandes difficultés à le faire. Et si néanmoins cela se produisait, ce ne serait pas sans provoquer un grand vacarme.

Il s’éveilla avec un sursaut et la sensation que des cloches attachées à ses nerfs s’étaient mises à tinter. Son cœur battait à la même cadence que les ailes d’un coq de bruyère en train de prendre son essor. Quelque chose dans son rêve, s’était écroulé. Non, pas dans son rêve. Dans la pièce. Il se releva d’un bond, l’épée à la main, au moment précis où un homme s’abattait sur le sol au milieu d’une gerbe d’eau. La porte se referma automatiquement. L’intrus haletait comme s’il avait retenu son souffle pendant longtemps.

C’était un homme de haute stature, solidement charpenté, avec de longues jambes. Il avait la peau très claire, de grosses taches de rousseur et une chevelure blonde que l’eau assombrissait. Il semblait n’avoir pour armes qu’une dague et une courte épée. Il ne portait pas d’armure. Il était vêtu d’une chemise rouge à manches courtes et d’une culotte collante jaune à bande foncée ; il avait autour de la taille une large ceinture de cuir.

Kickaha bondit dans sa direction, l’épée haute. L’intrus, encore étourdi, voyant qu’il ne pourrait se relever à temps pour se défendre, fit la seule chose qu’un homme avisé pouvait faire en l’occurrence : il se rendit.

Kickaha s’adressa à lui dans la langue des Seigneurs. L’homme parut perplexe et répondit en allemand. Kickaha répéta sa phrase dans cette langue puis il le laissa se relever afin qu’il pût s’asseoir sur une chaise. Il tremblait, peut-être à cause de l’eau froide, mais sans doute aussi à la pensée de ce que Kickaha pourrait lui faire.

Le fait qu’il parlât allemand suffit à convaincre Kickaha qu’il ne pouvait s’agir d’une Cloche Noire. Il avait l’accent des habitants des Monts Einhorner. De toute évidence, les Cloches Noires n’avaient pas voulu s’exposer aux dangers inconnus des « portes » de la caverne et ils avaient envoyé des cobayes en avant.

Pal Do Shuptarp raconta à Kickaha tout ce qu’il savait. C’était un baronnet qui commandait la garnison du roi von Turbat d’Eggesheim. Lors de l’invasion de Talanac, il était demeuré à son poste. À un certain moment, von Turbat et von Swindebarn étaient réapparus, sortant du château comme s’ils ne l’avaient jamais quitté. Ils avaient ordonné à la garnison et à un certain nombre d’autres soldats de les suivre jusqu’à une pièce « magique » du château. Là, von Turbat avait expliqué que leur ennemi numéro un, Kickaha, se trouvait sur la lune et qu’ils allaient s’y rendre grâce à la sorcellerie – la magie blanche, naturellement – afin de le traquer. Von Turbat n’avait rien dit de ce qui était arrivé aux soldats qui avaient pris part à l’opération contre Talanac.

« Ils sont tous morts », dit Kickaha, qui ajouta : « Comment von Turbat s’adressait-il à vous ?

— Par l’intermédiaire d’un prêtre, comme il le fait depuis un certain temps », répondit Do Shuptarp.

« Et cela ne vous a pas paru bizarre ? »

Le Teutonique haussa les épaules.

« Il se passait tellement de choses bizarres en même temps que cela n’en faisait jamais qu’une de plus. D’ailleurs, von Turbat affirmait avoir reçu du Seigneur une révélation divine. Il disait que la faculté de parler le langage sacré lui avait été octroyée. Et on lui avait interdit de parler une autre langue que celle-là car le Seigneur voulait que chacun sût qu’il avait fait de lui son favori.

— Excellente rationalisation et bonne excuse », dit Kickaha.

« Une machine volante magique apparut alors au-dessus du château », poursuivit Do Shuptarp. « Elle se posa et il nous fut ordonné de la démonter et d’en transporter les morceaux dans la pièce d’où nous devions être envoyés magiquement sur la lune. »

C’était une expérience terrifiante que de se trouver transporté instantanément sur le satellite, et que de voir au-dessus de soi, suspendue dans le ciel et menaçant de tomber sur vos têtes et de vous écraser, la planète sur laquelle vous vous trouviez une seconde auparavant. Mais un homme peut s’habituer à tout, ou presque. La caverne creusée dans le flanc de la colline avait été découverte par un groupe de soldats envoyé en exploration. Elle contenait le cadavre d’un aigle géant dont la tête et les pattes avaient disparu, les carcasses de deux singes immenses et le corps d’un deuxième aigle. Au fond de la caverne, il y avait une pièce sur le sol de laquelle se trouvaient sept croissants de métal sertis dans le sol, et cinq autres croissants mobiles.

En entendant cela, Kickaha comprit que Podarge avait réussi à s’échapper en empruntant une « porte ».

Von Turbat avait alors choisi ses dix meilleurs chevaliers, puis il avait formé des cercles avec les croissants et les avait fait se placer à l’intérieur, deux par cercle. Il espérait que certains d’entre eux trouveraient Kickaha et le tueraient.

« Ainsi, vous êtes deux ? » demanda Kickaha.

« Non », répondit Do Shuptarp. « Karl von Rothadler est venu avec moi mais il est mort. Il était très fort pour charger impétueusement, l’épée en avant, sans se préoccuper de chercher d’abord à savoir ce qui se passait, et il s’est précipité dans la pièce à une telle vitesse qu’il a évité le nœud coulant posé sur le sol près de l’entrée. Malheureusement, le divan et la chaise se sont dérobés devant lui et une corde s’est tendue, arrachant le boulon qui retenait le lustre au plafond. Le lustre lui est tombé sur la tête et il a été tué net. Je ne sais pas comment tu as réussi à ensorceler le divan et la chaise, mais tu dois être un puissant magicien.

— Ainsi le piège a fonctionné, mais pas tout à fait selon mes prévisions », dit Kickaha. « Comment as-tu fait pour pénétrer dans la pièce remplie d’eau ?

— Après la mort de Karl, j’ai essayé de revenir sur mes pas, mais je n’ai pas pu ouvrir la porte. Alors, j’ai continué à avancer. Quand je suis arrivé à la porte qui communiquait avec la pièce remplie d’eau, il a fallu que je pousse de toutes mes forces pour réussir à l’ouvrir. L’eau s’est engouffrée dans l’ouverture, alors j’ai cessé de pousser. Mais je ne pouvais pas revenir en arrière, et il fallait donc que je continue à aller de l’avant. J’ai à nouveau poussé et réussi à ouvrir la porte, malgré la forte pression de l’eau. Je sentais que je ne pourrais pas la maintenir ouverte très longtemps, car l’eau qui jaillissait menaçait de me renverser, mais je réussis néanmoins à m’infiltrer par l’ouverture – je suis très fort. L’antichambre était presque pleine d’eau lorsque j’y pénétrai, et la porte se referma dès que je fus à l’intérieur de la grande pièce.

» L’eau était claire et transparente. Heureusement, car je me serais noyé avant d’avoir découvert l’autre porte. Je nageai vers le plafond, espérant qu’il subsisterait un espace avec de l’air, mais il n’y en avait pas. Je me mis alors à nager vers l’autre extrémité de la pièce. La pression avait ouvert la porte qui se trouvait de ce côté et l’eau emplissait en partie l’antichambre. Lorsque j’y pénétrai, il y en avait suffisamment pour que la pression entrouvre la porte de communication avec la pièce où nous nous trouvons actuellement.

» J’attendis jusqu’à ce qu’elle se soit refermée. Puis, lorsqu’elle recommença à s’ouvrir, je me propulsai en avant en poussant du pied contre le sol, et j’atterris dans cette pièce comme un marin naufragé jeté par la tempête sur une fie déserte. »

Kickaha ne dit rien durant une minute. Il pensait à la fâcheuse situation dans laquelle il s’était mis et dans laquelle il avait fourré ce type en faisant déborder la piscine. Il se pouvait fort bien que les vingt-quatre pièces composant la prison soient submergées les unes après les autres.

« Eh bien, si je n’arrive pas à trouver rapidement un moyen de nous sortir d’ici, nous sommes fichus », dit-il.

Do Shuptarp lui demanda ce qu’il voulait dire par là, et Kickaha lui expliqua la situation. Le Teutonique devint encore plus pâle. Kickaha entreprit de lui résumer ce qui était à l’origine des récents événements, et il lui donna quelques détails sur les Cloches Noires.

« Maintenant, je comprends beaucoup de choses qui jusqu’à présent étaient incompréhensibles pour moi – pour nous tous », dit Do Shuptarp. « Un jour, alors que je me préparais à entreprendre une chasse au dragon, j’appris que von Turbat et von Swindebarn avaient proclamé une guerre sainte. Ils prétendirent que le Seigneur, Herr Gutt, ordonnait que nous attaquions une ville à un étage inférieur de la planète. Notre mission consistait à découvrir et à tuer les trois hérétiques qui s’y cachaient.

» La plupart d’entre nous n’avaient jamais entendu parler de Talanac, des Tishquetmoacs et de Kickaha. Nous savions naturellement qui était Horst von Horstmann, le baron brigand. Von Turbat nous dit que le Seigneur nous avait procuré des moyens magiques pour nous déplacer d’un niveau à l’autre de la planète, et il nous expliqua la raison pour laquelle il n’employait que le langage des Seigneurs. Et maintenant, tu me dis que les âmes du roi, de von Swindebarn et de quelques autres ont été dévorées, et que leurs corps sont possédés par des démons. »

Kickaha se rendit compte que le chevalier ne comprenait pas encore parfaitement, mais il n’essaya pas de le détromper. S’il voulait interpréter les choses d’une manière superstitieuse, c’était son affaire. L’important était qu’il sût que les deux rois étaient devenus de terribles dangers déguisés.

« Puis-je te faire confiance ? » demanda-t-il à Do Shuptarp. « Veux-tu m’aider, maintenant que tu connais la vérité ? Bien sûr, cela n’a de l’importance que dans la mesure où je trouverai un moyen pour nous faire pénétrer dans le palais avant que nous ne nous noyions.

— Je te jurerai une fidélité éternelle ! » Kickaha ne fut pas convaincu, mais il ne désirait pas le tuer. Do Shuptarp pouvait s’avérer une aide précieuse. Il lui dit de ramasser ses armes et de marcher devant pour rejoindre la cellule dans laquelle ils étaient l’un et l’autre arrivés. Lorsqu’ils l’eurent réintégrée, Kickaha fouilla dans un placard où il prit un appareil enregistreur. C’était un des nombreux objets avec lesquels un prisonnier pouvait se distraire. Mais Kickaha avait autre chose en tête que l’amusement. Il prit le cube noir brillant de dix centimètres de côté, appuya sur la tache rouge située sur sa face inférieure et prononça quelques mots dans la langue des Seigneurs. Il pressa alors un point blanc sur une face latérale du cube et ses paroles furent retransmises.

Pendant ce qui lui sembla durer des heures, Kickaha attendit que la topaze incrustée dans la porte du passe-plats se mette à briller. Il retira alors le plateau qui était apparu dans la cavité et qui contenait de la nourriture pour deux personnes. Deux lumières étaient maintenant allumées aux cuisines et les talos, l’ayant remarqué, avaient préparé des plats en conséquence.

« Mange », dit Kickaha au Teutonique. « Il se peut que ton prochain repas n’ait lieu que dans très longtemps – s’il a lieu. »

Do Shuptarp tressaillit. Kickaha se mit à manger, s’efforçant de mâcher lentement, mais la porte qui s’ouvrit en faisant jaillir de l’eau le fit avaler précipitamment. La porte se referma puis s’entrouvrit à nouveau pour laisser passer un autre flot d’eau.

Il remit les plats vides sur le plateau, qu’il replaça ensuite dans la cavité du mur. Il espérait que les talos n’auraient rien de plus pressé à accomplir et qu’ils le récupéreraient aussitôt. S’ils tardaient à le faire, ce serait sans doute la fin pour les prisonniers.

Le cube qu’il avait placé au milieu des plats vides avait commencé à retransmettre ses instructions. Kickaha avait exercé trois pressions sur la tache blanche, de manière qu’il les répète soixante fois. Malheureusement, il se pouvait que le transmetteur ait déjà cessé d’émettre au moment où un talos récupérerait le plateau.

La topaze cessa de luire. Kickaha ouvrit la porte du passe-plats. Le plateau avait disparu.

« Si le talos obéit à mes instructions, tout ira bien », dit-il au Teutonique. « Du moins, nous pourrons sortir d’ici. S’il n’obéit pas, alors ce sera la fin pour nous deux et nos soucis. »

Il fit signe à Do Shuptarp de le suivre dans l’antichambre. Ils y demeurèrent une minute puis Kickaha dit : « Mon vieux, si rien ne se passe dans les secondes qui viennent, alors nous pourrons nous dire adieu. »

Cosmos Privé
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